Les défis de la ruralité

Vous habitez en milieu rural ou vous pensez vous y installer à la retraite ? Un tel choix comporte son lot d’avantages et de difficultés pouvant influencer votre santé.

À jour le 9 juin 2025

Maison de campagne vue d'oiseau

Les bienfaits de la vie en région

Habiter en milieu rural peut être bénéfique. Ceux qui y vivent depuis longtemps ou qui y retournent afin de se rapprocher de leur famille sont souvent entourés de personnes qui peuvent les soutenir au besoin. Ceux qui s’y installent à la retraite peuvent ainsi ralentir leur rythme, vivre près de la nature et s’éloigner de la pollution. « Nous savons que ces deux facteurs font du bien, précise Dre Michèle Morin, professeure agrégée à la faculté de médecine de l’Université Laval et interniste gériatre au CISSS de Chaudière-Appalaches. Et cela est vrai, que nous soyons dans un milieu agricole, forestier ou maritime. »

Pas surprenant que, depuis plusieurs années, de jeunes retraités quittent les grands centres. Selon Dre Morin, qui est aussi chercheure au Centre de recherche du CISSS de Chaudière-Appalaches, il s’agit souvent de baby-boomers qui ressentent un attachement à la terre et à leurs racines et qui sont plus en santé que les générations précédentes. Généralement, ils retournent là où ils ont grandi ou optent pour un endroit qui leur offre la possibilité de s’adonner à des activités de plein air.

Ce mouvement contribue au vieillissement démographique de la population dans les régions. Selon l’Institut national de santé publique du Québec, en 2017, 21 % de la population vivant en milieu rural était âgée de plus de 65 ans alors que c’était le cas de seulement 18 % de celle vivant en milieu urbain. En 2020, l’Observatoire québécois des inégalités prévoyait que cette tendance pourrait s’amplifier au cours des prochaines années.

Les aléas de la vie en région

Malgré tous les avantages associés à la ruralité, s’éloigner de la ville lorsque l’on avance en âge demeure un pensez-y-bien. Car cela comporte son lot de défis. Loin de la ville, il est possible que l’on ait du mal à visiter des musées, à voir des spectacles ou à aller au théâtre. Or, selon Michèle Morin, assister à des représentations artistiques et culturelles est bénéfique. « Cela permet d’élever l’esprit et l’âme », souligne-t-elle.

Il se peut aussi que notre petit paradis se trouve au cœur d’un désert alimentaire et loin des services. « Dans les villages, plusieurs épiceries ont fermé leurs portes, dit Dre Morin. Et parfois, la caisse populaire, le bureau de poste, la pharmacie et les services médicaux se trouvent à plusieurs kilomètres ». Pour y accéder, il faut souvent rouler sur de petites routes sinueuses, ce qui rend les déplacements plus longs et plus difficiles, surtout en hiver.

Dans un tel contexte, la voiture devient un bien essentiel, tout comme le permis de conduire. Pas surprenant que, au Canada, il y ait plus de conducteurs âgés en région qu’en ville – soit 88 % contre 81 %. Or, le jour où, pour renouveler leur permis, ceux qui vivent en milieu rural doivent passer un test sur la route avec un moniteur de conduite, leur situation géographique complique les choses. « À une certaine époque, ces conducteurs pouvaient subir un tel examen dans leur coin de pays, dit Michèle Morin. Mais désormais, ils doivent se rendre dans un centre de services de la Société d’Assurance automobile du Québec situé dans une municipalité où ils n’ont peut-être jamais conduit. Cela rend les choses plus difficiles pour eux. »

La personne qui échoue à son test de conduite perdra son permis, du moins temporairement. Dès lors, elle pourra avoir du mal à se déplacer. Car, si la distance à parcourir pour répondre à ses besoins était longue et semée d’embûches pour elle, elle le sera aussi pour ses proches – qui n’ont pas toujours la possibilité de s’absenter du travail durant de longues heures – ainsi que pour toute autre personne susceptible de l’accompagner. « Dans certains villages, des services communautaires peuvent dépanner », nuance Dre Morin. Mais ce n’est pas toujours le cas. »

Parfois, il est aussi possible de se tourner vers une entreprise de transport adapté. Mais de tels services ne sont pas offerts partout et, selon Michèle Morin, ils peuvent être assortis de contraintes. « Certains utilisent le transport adapté pour venir me consulter, explique-t-elle, mais à cause de l’horaire du chauffeur, ils doivent parfois attendre ensuite de nombreuses heures avant qu’on puisse revenir les chercher. » Ces situations illustrent à quel point l’accès aux soins devient un enjeu critique lorsqu’on vieillit - un facteur essentiel pour vieillir en santé.

Devoir se trouver un nouveau logis en milieu rural

Cuisine illuminé par la lumière extérireure

D’autres enjeux sont en lien avec l’habitation. Il est possible qu’à un certain moment, une personne aînée ne puisse plus fonctionner adéquatement dans sa maison ou son appartement. Cela peut se produire, par exemple, si elle n’a plus la capacité d’aller chercher des objets dans le haut ou le bas de ses armoires ou si elle risque de tomber en prenant une douche. Si aucun service ne peut lui fournir l’aide dont elle a besoin, elle pourrait se retrouver dans l’impossibilité de vieillir chez elle – c’est pourtant ce que souhaitent la majorité des personnes, du moins celles qui ne souffrent pas d’une maladie grave.

Pour se procurer un logis adapté à ses besoins, cette personne pourrait devoir opter pour une résidence pour aînés (RPA). Or, selon Michèle Morin, si on trouvait autrefois des petites résidences dans les villages, plusieurs ont dû fermer leur porte au cours des dernières années, car il leur est devenu difficile de respecter les normes de sécurité exigées. « Désormais, il n’y a presque plus que de grands édifices, se désole Dre Morin. Ils sont situés dans des municipalités relativement importantes et y vivre coûte très cher. » Cela oblige la personne habitant en région à s’éloigner de son milieu de vie naturel, ce qui peut aggraver sa situation. « Elle subit alors un déracinement important », témoigne Dre Morin.

Si la personne aînée doit être hébergée dans un CHSLD, la situation est encore pire. « Si une place se libère à 150 kilomètres de chez elle, elle se sentira peut-être obligée de la prendre, dit la Dre Morin. Car qui sait quand une nouvelle place se libérera ? » Dans un tel cas, il est possible que le conjoint reste derrière et que la distance empêche les deux époux de se voir régulièrement. Voilà une situation déchirante.

Particularité selon l’âge

Vivre à la campagne soulève des enjeux particuliers pour les personnes vieillissantes, car elles se trouvent souvent loin des services à un moment de leur vie où elles risquent d’en avoir besoin à plus ou moins long terme. Cet éloignement peut leur causer des problèmes. Cela dit, plusieurs personnes aînées qui ont toujours vécu en milieu rural parviennent à bâtir un filet de sécurité solide — par exemple, en vivant près de membres de leur famille ou en recevant des services à domicile bien adaptés à leurs besoins. La situation est toutefois plus difficile pour celles qui ont choisi de s’installer en région à un âge avancé et qui ne bénéficient, à proximité, ni de leur famille ni d’un réseau social susceptible de bien les soutenir.

Prévenir ou guérir

Vous n’avez pas encore fait le grand saut ? Avant de jeter votre dévolu sur un endroit en particulier, assurez-vous qu’il se situe suffisamment près des services afin que vous puissiez y demeurer le plus longtemps possible, même si, un jour, vous éprouvez un problème de santé ou que vous perdez votre permis de conduire. Cela vous permettra de profiter de votre nouvel environnement en sachant que, en cas de pépins, des solutions s’offrent à vous.

Vous habitez déjà en région ? Pour y rester le plus longtemps possible, participez à des activités qui vous permettront de vous rapprocher des personnes de votre communauté. Cela vous assurera d’être bien entouré, ce qui est précieux lorsque l’on prend de l’âge. Et, qui sait, lorsque vous ne pourrez plus vivre seul dans votre demeure, peut-être pourrez-vous vous trouver un colocataire. « En cette période de crise du logement, la cohabitation peut être une solution intéressante tant pour les personnes aînées que pour les plus jeunes », souligne Michèle Morin. En échange d’un loyer à prix raisonnable, la personne aînée pourra s’entendre avec son colocataire pour qu’il effectue certaines tâches qu’elle ne peut plus faire.

Aussi, informez-vous des services qui pourraient vous être offerts en cas de besoins. Au cours des dernières années, plusieurs municipalités ont entrepris de devenir une Municipalité amie des aînés et cela a donné lieu à des réalisations intéressantes un peu partout au Québec.

Vous constatez plutôt que les services offerts aux personnes aînées sont limités, pour ne pas dire inexistants, dans votre milieu ou encore qu’il vous faudra sans doute payer pour en obtenir ? Cette solution ne vous réjouit pas ? Ne la rejetez pas avant de l’avoir étudiée. Surtout s’il s’agit là de la seule option vous permettant de demeurer à domicile. Et n’oubliez pas que, le jour où vous n’aurez plus de permis de conduire et que vous vous serez départis de votre voiture, le montant épargné sur l’essence, l’entretien, les assurances et l’immatriculation, pourra vous aider à vous offrir de tels services.

Pour que les choses changent

Vous souhaitez que la vie en région soit plus adaptée aux réalités des personnes aînées ? Il est possible de contribuer au changement à votre rythme, et selon vos moyens. Comment vous y prendre ? Michèle Morin pointe du doigt l’action politique. « La participation sociale, ce n’est pas juste faire du bénévolat, dit-elle. Ça peut aussi être de signifier haut et fort ce qui ne va pas en région, et de le faire au nom de ceux qui n’en sont pas capables. »

Michèle Morin indique que les occasions de prise de parole sont nombreuses. Elles existent notamment via les Tables de concertation des aînés qui se tiennent dans les localités de tous les territoires, ainsi qu’au plan régional et provincial. Elles se présentent aussi via la recherche qui se fait actuellement au Québec dans les laboratoires vivants. L’un d’eux, appelé MOSAIC, s’intéresse justement aux aînés qui habitent en région. Il permet à des personnes aînées et à leurs proches de s’asseoir en compagnie de chercheurs. « Les uns font état d’expériences vécues et, les autres, de théories, résume Dre Morin. Ensemble, ils dialoguent, échangent et confrontent leurs idées. Cela permet de voir les choses selon différentes perspectives et de faire émerger des solutions innovantes. »

Il est aussi possible de faire changer les choses en participant aux Interforums du Mouvement HABITATS, qui est porté par l’organisme communautaire Un et un font mille et par la Fondation AGES. Il s’agit d’ateliers qui offrent l’occasion de se rencontrer virtuellement afin d’améliorer les conditions de vie des personnes aînées d’un quartier, d’une ville ou d’une région. Une démarche d’accompagnement personnalisée permet ainsi des échanges générationnels, des réflexions autour d’enjeux locaux en lien avec le vieillissement, ainsi que la mise en place de pistes de solutions concrètes.

Michèle Morin se dit optimiste. « J’ai confiance en l’avenir, affirme-t-elle, car je pense que les personnes aînées, qui ont aujourd’hui 60 ou 70 ans, peuvent faire changer les choses en région. Mme Morin invite d’ailleurs les jeunes retraités – qu’elle appelle la force grise – à agir. « Certains ont le goût, l’énergie et l’étincelle pour le faire, dit-elle. Ils agissent pour eux, mais aussi au nom de ceux qui ne sont pas en mesure de prendre parole ». Et cela donne des résultats.

À retenir

  • Vivre en région apporte des avantages, comme d’être à proximité de la nature et loin de la pollution.

  • Cela entraîne aussi certains inconvénients, comme la rareté d’activités culturelles et de services essentiels à proximité.

  • Les personnes qui vivent loin des grands centres doivent se déplacer en voiture et leurs trajets sont souvent ardus.

  • Lorsqu’elles perdent leur permis de conduire, ou qu’elles ont besoin de services pour rester à leur domicile, elles peuvent parfois se trouver dans une situation difficile, surtout si elles n’ont pas de famille ou d’amis à proximité.

  • Certaines personnes aînées n’ont alors d’autre choix que de payer pour des services ou déménager dans une municipalité offrant des services plus facilement accessibles.

  • Il existe des manières de rendre sa vie en région sécuritaire, satisfaisante et plus durable.

  • Les personnes aînées peuvent contribuer à faire changer les choses en participant à des actions citoyennes ou politiques.

À l’intention des proches aidants

  • Votre proche a l’intention de s’installer en région ?

    • Intéressez-vous à son projet.

    • Exposez-lui les avantages, mais aussi les inconvénients de la vie en région.

    • Il a jeté son dévolu sur une municipalité éloignée ? Proposez-lui de vérifier quels sont les services auxquels il aurait accès une fois là-bas, et de le faire en tenant compte des services dont il a besoin dans l’immédiat ainsi que de ceux dont il pourrait avoir besoin plus tard.

  • Votre proche habite déjà en région ?

    • Assurez-vous qu’il est bien entouré et qu’il a accès à tous les services qui lui sont nécessaires.

    • Votre proche bénéficie présentement des services dont il a besoin ?

      • Proposez-lui de vérifier quels sont les services offerts près de chez lui. Avec cette information, il sera mieux outillé pour l’avenir.

      • Dites-lui qu’il est possible de participer à l’amélioration de la vie des aînés dans sa région.

    • Votre proche ne profite pas de tous les services dont il a besoin ?

      • Aidez-le à identifier les organismes d’aide situés dans son entourage et à communiquer avec eux afin de vérifier quels services ils peuvent lui offrir.

      • Regardez avec lui quelles sont les solutions vers lesquelles il pourrait se tourner.

Rédaction: Maryse Guénette

Révision interne: Équipe de rédaction de la Fondation AGES

Révision scientifique: Dre Michèle Morin, médecin interniste-gériatre

Révision linguistique: François Grenier

Références

FUNK, Laura M. Where would Canadians prefer to die ? Variation by situational severity, support for family obligations, and age in a national study. BMC Palliative Care, volume 21, article 139, août 2022. https://bmcpalliatcare.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12904-022-01023-1

MCMAUGHAN, Darcy Jones et autres. Socioeconomic Status and Access to Healthcare: Interrelated Drivers for Healthy Aging. Frontiers in Public Health, volume 8, article 231, juin 2020. https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpubh.2020.00231/full

MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX. Pour une société où il fait bon vieillir - Document de consultation. Plan d’action gouvernemental Vieillir et vivre ensemble 2024-2029. 2023. https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/document-003551/

STATISTIQUE CANADA. Croissance démographique dans les régions rurales du Canada, 2016 à 2021. Tableau 1. https://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2021/as-sa/98-200-x/2021002/98-200-x2021002-fra.cfm

VAN DER VLUGT, Elmer et Vincent AUDET-NADEAU. Bien vieillir au Québec. Portrait des inégalités entre générations et entre personnes aînées. Observatoire québécois des inégalités. 2020. https://observatoiredesinegalites.com/wp-content/uploads/2023/09/OQI-2020-Portrait-du-vieillissement-au-Quebec-2dec-web_compressed.pdf

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