La déglutition: une opération complexe
Manger peut paraître banal. Mais pas pour les personnes qui souffrent de dysphagie, c’est-à-dire d’un trouble de la déglutition - le mécanisme qui fait passer les aliments de la bouche à l’estomac. Car la déglutition fait appel à plusieurs organes et fonctions du corps. Pour que tout se passe bien, chacun doit être en mesure de jouer son rôle tout au long du processus qui se déroule «dans un continuum entre la bouche et l’estomac», selon les mots de Stéphanie Villeneuve, orthophoniste et coordonnatrice professionnelle à l’Hôpital du Haut-Richelieu.
La déglutition se fait en quatre étapes. Lors de la première, appelée phase de préparation orale, vous prenez une bouchée, vous contenez la nourriture dans votre bouche afin qu’elle ne s’échappe pas et vous la mastiquez. Au cours de la deuxième étape, la phase orale de transport, votre langue propulse le contenu de votre bouche – qu’on appelle le bol alimentaire – vers votre gorge. Pendant la troisième étape, appelée phase pharyngée, votre épiglotte s’abaisse pour empêcher l’accès à vos poumons et, pendant que votre respiration est momentanément suspendue, le bol alimentaire se déplace vers votre œsophage. Enfin, au cours de la dernière phase, le bol alimentaire se déplace le long de votre œsophage et, grâce à des contractions réflexes, se rend jusqu’à votre estomac.
Lorsque quelque chose ne va pas lors de la déglutition
Généralement, ce processus se produit sans que l’on y réfléchisse. Mais il est possible qu’un problème survienne. Par exemple, une partie des aliments peuvent rester dans la bouche sans avoir été avalés ou irriter la gorge lors de leur passage, voire s’y retrouver bloqués. Il est aussi possible que des aliments ou du liquide se dirigent vers la trachée et les poumons plutôt que vers l’estomac – c’est ce que l’on appelle une fausse route, ou une aspiration. Cette situation représente un risque pour les personnes aînées, car elle peut causer une pneumonie d’aspiration et mener à une infection pulmonaire.
Or, les fausses routes ne sont pas toujours faciles à détecter, car elles ne provoquent pas toujours, sur le coup, un étouffement. «Il peut arriver que, en mangeant, une personne ait une aspiration silencieuse, explique Élise Doré, ergothérapeute-conseil à la Fondation AGES. Puis, quelques jours plus tard, qu’elle fasse une pneumonie. À ce moment, on soupçonnera que de la nourriture ayant fait fausse route vers les poumons peut en être la cause». Aussi, lorsqu’une personne fait des pneumonies à répétition, il est possible que cela soit dû à des fausses routes.
Si vous souffrez d’un trouble de la déglutition, vous ressentirez certains symptômes. Par exemple, vous pourriez avoir du mal à avaler vos médicaments ou tousser pendant ou après les repas. Il se peut également qu’après avoir avalé, vous ayez l’impression que quelque chose est pris dans votre gorge et que vous ressentiez le besoin d’avaler à nouveau. Parmi les autres symptômes possibles, mentionnons la présence de nourriture dans la bouche après avoir mangé, l’écoulement de nourriture ou de liquide hors de la bouche et le besoin de se racler la gorge après avoir bu ou mangé. Selon Isabelle Bouchard, nutritionniste et coordonnatrice professionnelle en nutrition clinique à l’Hôpital du Haut-Richelieu, ce dernier symptôme peut indiquer que de petites particules se sont rendues sur les cordes vocales. Se racler la gorge permet de se départir des sécrétions accumulées dans la gorge.
Les causes du trouble de la déglutition
La dysphagie est attribuable à des causes diverses. Par exemple, elle peut être provoquée par des dents ou une prothèse dentaire moins efficaces qu’auparavant, ou encore par l’absence de dents ou d’une prothèse adéquate. Car pour que le processus de déglutition se fasse efficacement, il est important que les aliments aient été bien mâchés. «Lors de la mastication, la nourriture est enrobée de salive, ce qui la rend plus glissante», souligne Stéphanie Villeneuve. Elle peut ainsi se rendre plus facilement à l’estomac.
La dysphagie peut aussi être causée ou amplifiée par la prise d’un médicament. Certains d’entre eux ont pour effet d’assécher la bouche alors que d’autres peuvent causer des lésions œsophagiennes. D’autres encore, qui agissent sur le système nerveux central, conduisent à une diminution ou à un retard du réflexe de déglutition.
Enfin, la dysphagie peut être provoquée par un accident vasculaire cérébral (AVC) ou encore par une maladie dégénérative, comme l’Alzheimer ou la maladie de Parkinson. Elle peut aussi être occasionnée par un cancer de la gorge, de la bouche ou même de l’œsophage.
Dysphagie: un mal à ne pas prendre à la légère
La dysphagie est un problème courant chez les personnes aînées. Selon le Regroupement des pharmaciens experts en gériatrie, 30 à 40 % de celles qui vivent à domicile en souffrent alors que c’est le cas de 60 % de celles qui résident en centre d’hébergement et de soins de longue durée.
Quelle qu’en soit la cause, si vous éprouvez un trouble de déglutition, vous devriez vous en préoccuper. Car si vous ne faites rien, votre trouble pourrait s’amplifier et entraîner d’importantes conséquences sur votre vie.
Avec le temps, la personne qui s’étouffe fréquemment en buvant pourrait en venir à ne plus vouloir boire, ce qui occasionnerait un risque de déshydratation. Et celle qui a de la difficulté à mastiquer de la viande pourrait finir par la retirer de son menu. Si elle ne parvient pas à y intégrer d’autres protéines complètes, elle risque, après un certain temps, de souffrir de dénutrition. Enfin, la personne âgée dont les symptômes sont dérangeants socialement – comme l’accumulation de nourriture dans la bouche et l’écoulement à l’extérieur de la bouche, ou encore la tendance à s’étouffer en mangeant – ressentira du stress durant les repas et finira peut-être par s’isoler, ce qui pourra avoir un effet sur son moral, voire la mener à la dépression.
Particularité selon la tranche d’âge
La dysphagie peut survenir à tout âge. Cependant, elle est plus courante chez les aînés, car la fonction de la déglutition perd en efficacité avec l’âge.
Quand et qui consulter ?
Vous croyez souffrir d’un trouble de la déglutition. Tournez-vous vers votre médecin ou une infirmière. Après avoir pris connaissance de votre problème, ces derniers vous dirigeront sans doute vers une équipe de professionnels susceptibles de vous aider, comprenant généralement orthophoniste, ergothérapeute ou nutritionniste. Le travail d’équipe est judicieux, dans le cas de la dysphagie, puisqu’il s’agit d’un problème complexe, et l’expertise de chacun peut faire la différence.
L’orthophoniste observera votre manière de manger. «Après avoir porté attention aux mouvements des lèvres et de la langue, ainsi qu’à la force des structures orales, nous pouvons faire part de nos observations au nutritionniste pour l’aider à déterminer quelle texture d’aliments est la plus appropriée, souligne Stéphanie Villeneuve. Et ce n’est pas toujours de la purée!»
Notons que, grâce à ses connaissances en matière de déglutition, l’orthophoniste peut aider à prévenir la dysphagie, à ralentir son processus et conduire à une récupération ou une compensation des déficits. Il peut ainsi permettre aux personnes dysphagiques de continuer d’éprouver du plaisir à manger et de le faire de manière sécuritaire.
Si cela s’avère pertinent, l’orthophoniste pourra demander à votre médecin de prescrire un examen par fluoroscopie de la déglutition. Ainsi, après vous avoir fait consommer différents liquides et aliments mélangés à du baryum, on sera en mesure de voir le fonctionnement des structures à l’intérieur de votre bouche, de votre pharynx et de votre œsophage. Cela permettra de déterminer si vous souffrez d’un trouble de la déglutition et, le cas échéant, d’en identifier la cause.
Dans certains cas, il est possible que l’orthophoniste vous propose un programme d’exercices. «Avec un travail approprié, nous pouvons parfois améliorer la force de certains muscles et la mobilité de certaines structures, affirme Stéphanie Villeneuve. Et cela peut faire une réelle différence pour le patient.»
L’ergothérapeute, quant à lui, vous permettra de revoir votre position lors des repas afin que vous puissiez être plus à l’aise en mangeant et que vous adoptiez une posture sécuritaire pour la déglutition. Si vous avez du mal à manipuler les ustensiles et à porter vos aliments à votre bouche, il pourra également vous suggérer des outils adaptés à vos besoins.

Enfin, le nutritionniste vous aidera à déterminer la consistance idéale de votre nourriture pour faciliter votre déglutition et la rendre plus confortable. Grâce à ses interventions, votre toux sera moins présente et vous risquerez moins d’être victime d’une pneumonie d’aspiration. De plus, en évaluant vos apports nutritionnels, il s’assurera que, malgré votre problème de dysphagie, vous comblerez vos besoins nutritionnels.
Vous avez rendez-vous avec un professionnel ? Préparez-vous en conséquence. Pour ce faire, observez bien votre situation. Demandez-vous depuis quand vous avez de la difficulté à avaler et identifiez vos symptômes. Si certains aliments vous rendent particulièrement inconfortable, faites-en la liste. Et essayez de remarquer si ce trouble survient seulement lorsque vous mangez des aliments solides ou aussi lorsque vous buvez des liquides. Tous ces renseignements vous aideront à obtenir l’aide dont vous avez besoin.
Pour information sur les professionnels dont il est question dans cette section, consultez les sites de l’Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec, de l’Ordre des ergothérapeutes du Québec et de l’Ordre des diététistes nutritionnistes du Québec.
Comment atténuer un trouble de la déglutition
Vous éprouvez des difficultés lors de la déglutition ? Voici quelques consignes de base qui pourraient vous aider à rendre vos repas plus agréables.
En mastiquant
Assurez-vous que vos dents sont en bon état, ou encore que votre dentier est bien ajusté. Des douleurs dans votre bouche pourraient aussi nuire à la mastication. Dans ce cas, n’hésitez pas à consulter votre dentiste ou un denturologiste.

En buvant
Puisqu’il est difficile de contrôler, avec une paille, la quantité de liquide qui arrive dans la bouche, il est préférable d’éviter de s’en servir.
Buvez en gardant la tête droite ou en la penchant légèrement vers l’avant – la tête penchée vers l’arrière favorise les fausses routes.
Vous avez l’impression que vos pilules restent prises dans votre gorge ? Consultez votre pharmacien pour qu’il vous propose des solutions.
En prévision de vos repas
Évitez les mets qui présentent différentes textures, comme les soupes contenant du bouillon et des morceaux de viandes ou de légumes. Ils sont plus difficiles à gérer dans le processus de déglutition.
Choisissez des aliments plus faciles à mastiquer, comme des viandes hachées, des poissons ainsi que des fruits tendres et des légumes cuits.
Choisissez des ustensiles qui vous incitent à prendre de petites bouchées. «Parfois, troquer une grosse cuillère pour une petite cuillère est suffisant pour faire une différence», mentionne Élise Doré.
Assurez-vous de porter, pendant votre repas, vos lunettes et vos prothèses dentaires. Ainsi, vous serez en mesure de bien voir vos aliments.
À table
Pour manger, installez-vous à une table ou dans un fauteuil qui vous permet de vous tenir bien droit, les pieds appuyés au sol.
Durant le repas, limitez les distractions, comme la télévision ou la présence de personnes qui pourraient vous parler alors que vous avez de la nourriture dans la bouche.
Avant de commencer à manger, coupez vos aliments en petits morceaux.
Au moment de porter des aliments à votre bouche, et pendant la déglutition, placez votre tête droite ou légèrement penchée vers le bas.
Prenez de petites bouchées et mastiquez bien vos aliments.
Mangez lentement. Vous trouvez cela difficile ? Déposez vos ustensiles entre chaque bouchée, cela vous y aidera.
Après vos repas
Enlevez la nourriture qui pourrait être restée dans votre bouche. Ces petits morceaux pourraient être avalés éventuellement et causer une pneumonie d’aspiration s’ils ne prennent pas le bon chemin.
Procédez à votre hygiène buccale. Cela signifie se brosser les dents, mais aussi la langue à l’aide d’une brosse à dents douce. Ces deux tâches vous permettront de limiter la prolifération de bactéries dues aux résidus de nourriture dans votre bouche et, ainsi, de limiter une éventuelle infection.
Restez en position assise ou semi-assise pendant au moins 30 minutes après avoir mangé.
À retenir
La déglutition est le mécanisme qui fait passer les aliments de la bouche à l’estomac.
Il s’agit d’un processus complexe qui comporte plusieurs étapes.
Lorsque, chez une personne, un problème survient lors d’une de ces étapes, on dit qu’elle souffre d’un trouble de la déglutition, aussi appelé dysphagie.
Ce trouble peut survenir pour plusieurs raisons: une mastication moins efficace, la prise de certains médicaments ou une maladie.
La dysphagie occasionne des inconforts et peut entraîner de graves conséquences, comme provoquer une pneumonie d’aspiration.
Lorsque l’on souffre d’un trouble de la déglutition, il faut en parler à son médecin.
Il existe des stratégies pour réduire les inconforts et les risques liés à la dysphagie, qui peuvent être relativement simples. Par exemple, s’asseoir correctement, manger plus lentement et prendre de petites bouchées ou utiliser de la vaisselle et des ustensiles adaptés.
Grâce à leurs compétences respectives, et complémentaires, l’orthophoniste, l’ergothérapeute et le nutritionniste peuvent vous aider.
À l’intention des proches aidants
Vous avez l’impression que votre proche éprouve des difficultés sur le plan de la déglutition ? Abordez la question avec lui. Demandez-lui s’il a observé des changements en ce sens et si cela l’inquiète.
En parallèle, expliquez-lui les risques et suggérez-lui d’en parler à son médecin. Un trouble de la déglutition non traité peut s’empirer et conduire à une pneumonie d’aspiration.
On propose à votre proche d’être vu par un orthophoniste ou encore de rencontrer un ergothérapeute ou un nutritionniste ? Soutenez votre proche dans les démarches qui lui seront suggérées et l’application des stratégies proposées. Selon leurs compétences respectives, ces professionnels pourront l’aider à être plus à l’aise en mangeant.
Votre proche présente des problèmes de déglutition, mais n’a pas encore consulté un professionnel de la santé ? Vous pouvez l’aider en lui proposant de l’accompagner pour mettre en place les consignes de base suggérées dans la section «Comment atténuer un trouble de déglutition».
Rédaction: Maryse Guénette
Révision interne: Équipe de rédaction de la Fondation AGES
Révision externe: Stéphanie Villeneuve, orthophoniste
Révision linguistique: François Grenier
Références
FONDATION AGES. La santé buccodentaire chez les personnes âgées. https://geriatriesociale.org/la-sante-buccodentaire-chez-les-personnes-ainees
GOUVERNEMENT DU QUÉBEC. Santé buccodentaire des personnes aînées. Janvier 2025. https://www.quebec.ca/sante/conseils-et-prevention/sante-buccodentaire/sante-buccodentaire-des-personnes-ainees
MARTEL, Josée. Dysphagie iatrogénique. Pharmactuel, vol. 34, no 1, janvier/février 2001, p. 11-15. https://pharmactuel.com/index.php/pharmactuel/article/view/375
ORDRE DES ORTHOPHONISTES ET AUDIOLOGISTES DU QUÉBEC. La dysphagie (ou trouble de la déglutition). https://www.ooaq.qc.ca/consulter/orthophoniste/dysphagie-trouble-deglutition
ASSOCIATION DES PHARMACIENS DES ÉTABLISSEMENTS DE SANTÉ DU QUÉBEC. Dysphagie. Fiche préparée par le Regroupement de pharmaciens experts en gériatrie. Juin 2021. https://www.apesquebec.org/sites/default/files/publications/ouvrages_specialises/20210623_RPEG_fiche_dysphagie.pdf
Partager
- Url copié
- X (Twitter)